Surinterprétation…

23 décembre 2009 par AL Laisser une réponse »

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La civilisation mondiale

Enfin, il n’y a pas de contribution sans bénéficiaire. Mais s’il existe des cultures concrètes, que l’on peut situer dans le temps et dans l’espace, et dont on peut dire qu’elles ont « contribué » et continuent de le faire, qu’est-ce que cette « civilisation mondiale » supposée bénéficiaire de toutes ces contributions ? Ce n’est pas une civilisation distincte de toutes les autres, jouissant du même coefficient de réalité. (…) [C'est] une notion abstraite, à laquelle nous prêtons une valeur, soit morale s’il s’agit d’un but que nous proposons aux sociétés existantes, soit logique si nous entendons grouper sous un même vocable les éléments communs que l’analyse permet de dégager entre les différentes cultures. Dans les deux cas il ne faut pas se dissimuler que la notion de civilisation mondiale est fort pauvre, schématique, et que son contenu intellectuel et affectif n’offre pas une grande densité. Vouloir évaluer des contributions culturelles lourdes d’une histoire millénaire (…) [selon le seul] étalon d’une civilisation mondiale qui est encore une forme creuse, serait les appauvrir singulièrement, les vider de leur substance et n’en conserver qu’un corps décharné.

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« Je ne le sais pas encore bien, mais je sens en moi un vif mécontentement, que ce mot-drapeau m’aidera peut-être à tirer au clair. »

(…) La véritable contribution des cultures ne consiste pas dans la liste de leurs inventions particulières, mais dans l’écart différentiel qu’elles offrent entre elles. Le sentiment de gratitude et d’humilité que chaque membre d’une culture donnée peut et doit éprouver envers toutes les autres, ne saurait se fonder que sur une seule conviction : c’est que les autres cultures sont différentes de la sienne, de la façon la plus varice (…).

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Brésil, Population Kadiwéu, Jaime Garcia, 1987

Nous avons considéré la notion de civilisation mondiale comme une sorte de concept limite, ou comme une manière abrégée de désigner un processus complexe. Car si notre démonstration est valable, il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité.

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Brésil, Population Kaduveo, 17,6 X 22,6 cm,
Claude Levi-Strauss, 1935

Le mirage de l’entente universelle

Dans toutes ces hypothèses, la contribution que l’ethnologue peut apporter à la solution du problème racial se révélerait dérisoire et il n’est pas certain que celle qu’on irait demander aux psychologues et aux éducateurs se montrerait plus féconde, tant il est vrai que, comme nous l’enseigne l’exemple des peuples dits primitifs, la tolérance réciproque suppose réalisées deux conditions que les sociétés contemporaines sont plus éloignées que jamais de connaître: d’une part, une égalité relative, de l’autre, une distance physique suffisante.

nullLes ethnies de la Grande Amazonie

(…) Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu’elle a su créer dans le passé (…), elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création.

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Dwelling constructed by the Kithaulu Nambikwara, Camararé river, Nambikwara Indigenous Territory, Mato Grosso. photo: René Fuerst, 1972

Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s’amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité.

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Children in a cave, Wasusu Village, Vale do Guaporé Indigenous Territory. Photo: Roberto Stuckert/Abril Press, 1985

(…) Convaincus que l’évolution culturelle et l’évolution organique sont solidaires, [l'ethnologue et le biologiste] savent que le retour au passé est impossible, certes, mais aussi que la voie où les hommes sont présentement engagés accumule des tensions telles que les haines raciales offrent une bien pauvre image du régime d’intolérance exacerbée qui risque de s’instaurer demain, sans même que les différences ethniques doivent lui servir de prétexte. Pour circonvenir ces périls, ceux d’aujourd’hui et ceux, plus redoutables encore, d’un proche avenir, il faut nous persuader que leurs causes sont beaucoup plus profondes que celles simplement imputables à l’ignorance et aux préjugés: nous ne pouvons mettre notre espérance que dans un changement du cours de l’histoire, plus malaisé encore à obtenir qu’un progrès dans celui des idées. (… Suite de l’interview Claude Levi-Strauss)

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    Lors de son séjour, Levi-Strauss comprend qu’il assiste en direct à l’agonie d’un peuple. Il décrit « une société humaine réduite à sa plus simple expression, diminuée », des « pouilleux » qui vont nus comme des vers. Équipé d’une culture simple en apparence matérielle et une cosmologie et d’un univers culturel extrêmement complexe, les Nambikwara ont préservé leur identité à travers un mélange de fierté et d’ouverture sur le monde.

Références :
Eugénisme
Jules_Crevaux
1. Extrait de Race et Histoire
2. Extrait de Race et Culture
Paul Veyne
Echogeo revues
Quai branly
U.N.E.S.C.O.
Indigenous Peoples in Brazil

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