Archive pour le ‘Arts’ catégorie

Logorrhée…

3 janvier 2011

La fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement.


Monde selon un chamane Batak, Guillaume Duprat, 2009.

L’avantage de l’observation des primitifs, c’est que leur société étant plus simple et plus petite, une analyse globale se heurte à moins d’obstacles. Il n’y a pas de civilisation « primitive » ni de civilisation « évoluée » ; il n’y a que des réponses différentes à des problèmes fondamentaux et identiques. Non seulement les « sauvages » pensent, mais la « pensée sauvage » n’est pas inférieure à la nôtre, et elle est fort complexe ; simplement, elle ne fonctionne pas comme la nôtre. « La pensée occidentale, dit Lévi-Strauss, est déterminée par l’intelligible : nous évacuons nos sensations pour manipuler des concepts. À l’inverse, la pensée sauvage calcule, non pas avec des données abstraites, mais avec l’enseignement de l’expérience sensible : odeurs, textures, couleurs ». Dans les deux cas, l’homme s’emploie à déchiffrer l’Univers, et la pensée sauvage, à sa manière, y parvient aussi bien que la pensée moderne. (suite…)

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Jack Hynes, Golden Snub-nosed Monkeys, Rhinopithecus roxellana in captivity outside of Xi’An, China, endangered.

La pensée mythique dispose d’un trésor d’images accumulées par l’observation du monde naturel : animaux, plantes avec leurs habitats, leurs caractères distinctifs, leurs emplois dans une culture déterminée. Elle combine ces éléments pour construire un sens, comme le bricoleur, confronté à une tâche, utilise les matériaux pour leur donner une autre signification, si je puis dire, que celle qu’ils tenaient de leur première destination.


Barthi Kher, The skin speaks a language not its own, 2006, fiberglass, bindis, life size of an elephant.

Loin d’être, comme on l’a souvent prétendu, l’oeuvre d’une « fonction fabulatrice » tournant le dos à la réalité, les mythes et les rites offrent pour valeur principale de préserver jusqu’à notre époque, sous une forme résiduelle, des modes d’observation et de réflexion qui furent (et demeurent sans doute) exactement adaptés à des découvertes d’un certain type ; celles qu’autorisait la nature, à partir de l’organisation et de l’exploitation spéculatives du monde sensible en termes de sensible.

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Hans Lemmen, Zegelboom (Sigillaria), 2010, Heerlen. Bronze and concrete, long 20 m, wide 1,6 m, high 1,2 m

Cette science du concret devait être, par essence, limitée à d’autres résultats que ceux promis aux sciences exactes et naturelles, mais elle ne fut pas moins scientifique, et ses résultats ne furent pas moins réels. Assurés dix mille ans avant les autres, ils sont toujours le substrat de notre civilisation. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, 1962.

Références :
Logorrhée
Anticipation rationnelle
Ignorance rationnel
Monisme
Galerie Perrotin
Persée revue

Rite…

22 décembre 2010

Je pense que vous devriez rêver la terre. Davi Kopenawwa, chaman et le porte-parole des Yanomami


Bonobo, Kanzi, 2008, Vincent j. Musi for National Geographic Magazine.

« C’est Omama qui nous a créés, mais c’est aussi lui qui a fait venir les Blancs à l’existence. Il n’y a qu’un seul et même ciel au-dessus de nous. Il n’y a qu’un seul soleil, qu’une seule lune. Nous habitons sur la même terre. Les Blancs n’ont pas été créés par leurs gouvernements. Ils viennent de la fabrique d’Omama ! Ils sont, autant que nous, ses fils et ses gendres. Il les a créés il y a très longtemps à partir de l’écume du sang de nos ancêtres, les habitants de Hayowari. (…)
Nous, Yanomami, lorsque nous voulons connaître les choses, nous nous efforçons de les voir en rêvant. C’est là notre manière d’étudier, je l’ai dit. C’est donc en suivant cet usage que, moi aussi, j’ai appris à voir. Mes anciens ne se sont pas contentés de me faire répéter leurs paroles ! Ils m’ont fait boire la yâkoana et m’ont permis d’admirer moi-même la danse des esprits durant le temps du rêve. Ils m’ont donné leurs propres xapiri et m’ont dit :  » Regarde ! Contemple la beauté des esprits ! Lorsque nous serons morts, tu continueras à les faire descendre après nous. Sans eux, ta pensée cherchera en vain à comprendre les choses. Elle restera dans l’obscurité et l’oubli !  » C’est ainsi qu’ils m’ont ouvert leurs chemins et ont fait croître ma pensée. À présent, je vais vieillir et m’efforcer de transmettre à mon tour ces paroles aux jeunes gens afin qu’elles ne se perdent pas et ne soient jamais oubliées. (…) »


With the forceful blow the powder entered the nose, Psychedelics Encyclopedia, page 321, Peter Stafford. 1993

« Telle est la beauté des xapiri que les anciens ont connue avant nous ! C’est ainsi que, depuis le premier temps, ils font entendre leurs chants et dansent pour se présenter ! » Ces images reviennent sans cesse dans notre pensée et restent tou­jours aussi nettes. Les paroles des esprits qui les accompagnent demeurent aussi à l’intérieur de nous. Elles ne se perdent jamais. C’est notre historique. C’est à partir d’elles que nous pouvons penser avec droiture. C’est pourquoi je dis que notre pensée est semblable aux peaux d’images sur lesquelles les Blancs conservent les dessins des discours de leurs anciens…

Ces paroles venues de la valeur de rêve des esprits, nous les fai­sons ensuite entendre aux gens de notre maison. Nous ne les trompons pas comme l’ont fait, autrefois, les gens de Teosi en nous répétant : « Sesusi va descendre dans la forêt ! S’il le veut, aujourd’hui ou demain, il arrivera parmi nous ! » Pourtant, le temps a passé et il ne s’est rien produit. Nous chamans, nous ne parlons jamais de la sorte ! Nous n’abusons jamais les nôtres en regardant des dessins de mots pour pouvoir parler. Nul besoin de fixer nos yeux sur des peaux de papier pour nous souvenir des paroles des xapiri ! Elles sont collées à notre pensée et se pressent à nos lèvres, innombrables, aussitôt que nous devenons esprits nous-mêmes. C’est de cette manière qu’il nous est possible de les révéler si facilement à ceux qui nous écoutent. Ce sont ces paroles sur les choses que j’ai vues en rêve que j’essaie d’expliquer aux Blancs pour défendre la forêt. Si je ne possédais pas de maison d’esprits et si j’étais incapable de voir quoi que ce soit, je n’aurais rien à leur dire. Mes yeux feraient peine à voir, ma voix serait hésitante et ils se rendraient vite compte que l’ignorance et la peur engourdissent ma bouche. » (Suite de l’article ) David Kopenawwa.


James Mollison, James and other Apes, Inge, 2002, Lambda print, 164 x 120 cm.

Coca, datura, tabac, peyotl ou Salvia divinorium, la liste des plantes « chamaniques » récupérées par les Occidentaux est longue. Et chaque fois leur intégration a été accompagnée d’un processus identique d’acculturation. Dépouillées de leur gangue rituelle, elles ont toutes pris le statut, un peu vil, de drogues dures. Toutes ? Non, une plante échappe à la règle : l’ayahuasca. Elle est passée d’une culture à l’autre en conservant son cortège de rites. Une observation qui, si elle surprend l’Occidental, ferait sourire un Amérindien. Et pour cause, dans la tradition amazonienne, cette plante est celle qui enseigne aux hommes. (… suite de l’article) La plante qui enseigne le sacré, Viviane Thivent, Frédérick Bois-Mariage, La recherche.

Oui, c’est un vrai phénomène de société qui est bon a penser. Christian Ghasarian.

Références:
Rite
Bufoténine
Des plantes psychotropes, Sébastien Baud (CRESS) et Christian Ghasarian (CNRS), émission audio France culture.
Editions Imago
Julien Bonhomme

PiHKAL…

19 décembre 2010

Le LSD est venu à moi. Albert Hofmann

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Christophe Berdaguer et Marie Péjus, Double insu, 2010. Sans titre (Méthyl Celeritas, Calcium Lactate Pronarcolep), verre et médicaments, 20 cm x 5 cm, œuvre unique.

Les personnes qui pousuivent systématiquement une profonde auto-exploration en utilisant des états de conscience non-ordinaires, comme la méditation, la psychothérapie expérimentale, ou une utilisation responsable des psychédéliques, tendent à développer une vision (ou vue) distincte et unifiée d’eux-même et de la réalité. Stanislav Grof


Christophe Berdaguer et Marie Péjus, Jardin d’addiction, 2009, Verre, métal, parfums (alcool, cocaïne, herbe, opium).

Il s’apprêtait déjà à tourner le dos à cet ennuyeux spectacle, pour rentrer en suivant la galerie du Louvre, lorsque le vent lui apporta quelque chose : quelque chose de minuscule, d’à peine perceptible, une miette infime, un atome d’odeur et même moins encore, plutôt le pressentiment d’un parfum, qu’un parfum réel, et pourtant en même temps le pressentiment infaillible de quelque chose qu’il n’avait jamais senti. Voulant à tout prix posséder ce parfum, il étrangle la fille et lui arrache ses vêtements pour pouvoir « s’imprégner jusqu’à l’ivresse de son parfum ». Cette rencontre va donner un sens à sa vie : « il fallait qu’il soit un créateur de parfums. Et pas n’importe lequel. Le plus grand parfumeur de tous les temps ». Das Parfum, die Geschichte eines Mörders, Patrick Süskind, 1985.


Mathieu Briand, Route de montagne, 2009, ready-made, liquide, édition 1/2. In memorial of Albert Hofmann 1906 – 2008

J’aime Alexander Shulgin. C’est mon idole, mon héros, mon soleil, mon O2 (…). Il a créé plus de drogues psychédéliques en l’espace de cinquante ans que la jungle amazonienne depuis que le monde est monde. Il tient plus de la créature mythologique, du centaure chimique, que de la personne réelle. (…) the last interview with Sasha by Hamilton Morris

Malgré des milliers d’années d’utilisation spirituelle de plantes visionnaires dans les cultures indigènes partout sur la planète, les gouvernements modernes, avec très peu d’exceptions, ont tenté de réprimer l’utilisation de plantes et de substances chimiques ouvreuses-de-conscience en les classifiant, à côté de dangereux narcotiques et stimulants, comme créant une dépendance -ce qu’ils ne font pas- et comme n’ayant aucune valeur sociale. Ann Shulgin


Arnaud Maguet, Mind Garden, 2008, mind-expending plants, lights and watering systems, 3 waterproof loudspeakers, 3 CD players and wood variable dimensions, La Blanchisserie galerie.

L’idée que la « nature » est une construction sociale en perpétuel devenir pose toutefois un défi formidable à l’anthropologie : devons-nous restreindre nos ambitions à décrire de la manière la plus fidèle possible les conceptions spécifiques de leur environnement que des sociétés ont construites à des époques différentes, ou devons-nous chercher des principes d’ordre permettant de comparer la diversité empirique en apparence infinie des complexes de nature-culture ? Philippe Descola, Les cosmologies des indiens d’amazonie, la recherche.

Références:
Alexander Shulgin
PiHKAL
Viceland
Lucid state
Documents d’artistes
ANNE+ Art Project
Groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur les Psychoactifs
Thèse de David Dupuis, Une ethnographie de la clinique Takiwasi. Soigner la toxicomanie avec l’aide des non-humains.

Mitakuye Oyasin…

13 décembre 2010

Respectez, aimez et honorez la vie ; soyez humbles ! Archie Fire Lame Deer, Homme-médecine sioux, tradition Lakota.


Stella Hamberg, le compagnon, 2008, Bronze, patinated, 114 x 90 x 96 cm

Extrait 3 : Si l’on pouvait résumer quelques uns des axes de réflexion, quelques unes des passerelles qu’il doit être possible d’établir entre la culture Kogis et nos sociétés, j’en retiendrais six…


Lucas Simões, Réquiem, Des(z)retrato [unportrait] 2010, 10 cut-out photos and acrylic, 41x31cm.

1. Chaque individu doit être reconnu comme faisant partie d’un tout. Chez les Kogis, à travers sa fonction, son rôle par rapport à la communauté, chacun a sa place. À ce titre, chacun a droit à la parole. Dans une telle société, il ne peut pas y avoir d’exclus ; pour fonctionner de manière équilibrée, le système a besoin de l’ensemble de ses composantes, même celles qui ne seraient pas forcément dans la norme, puisqu’elles renseignent le système sur la norme. Cette reconnaissance et le respect associé sont fondateurs de l’identité de chaque membre de la communauté. Chaque partie du système me reconnaît comme étant une partie nécessaire pour le fonctionnement du tout.


Hamatsa ritualist, 1914, Edward_S._Curtis.

2. La notion de faute, présente dans les sociétés occidentales, est totalement inexistante. Il s’agit plus de déséquilibres physiques, psychologiques, sociaux, qui, une fois rétablis ne sont pas portés comme des sentences tout au long d’une vie.


Gaa-binagwiiyaas, Chief John Smith of Cass Lake. Courtesy of the MNHS.

3. Le monde est compris comme un tout vivant et fragile dont les composantes sont en permanente interaction, ce qui oblige chacun à se sentir responsable de l’ensemble. Ce sont les liens de l’expérience sacralisée qui réunissent l’ensemble et lui donnent sens. Ce monde ne sépare pas, il réunit. La nature entière y est incluse : animaux, maïs, fleurs, nuages, pierres… Quand les Kogis se présentent en disant “Nous sommes des Kagabas…”, c’est à cet ensemble, ce tout, qu’ils font référence.


Lead pencil Studio, Annie Ham & Daniel Mihalyo, Architecture and spatial inquiry, Blaine, Washington, USA

4. Les problèmes, les difficultés doivent être formulés pour éviter les non-dits qui nuisent à l’harmonie des êtres et des lieux. Ce travail de “confession”, de verbalisation du corps au cœur, puis à l’esprit et à la parole, se doit d’être réalisé tant sur le plan des mots que sur celui du cœur et de l’énergie.


Cherokee Paper Sculptures, Eckman fine art.

5. L’interrelation, l’interdépendance lient les connaissances conceptuelles et expérimentales, cœur, conscience et esprits, hommes, nature et objet. Tout est équilibre entre un ensemble de composantes vivantes qui ont chacune un rôle et une fonction. L’ensemble ne fonctionne que parce que chacune des parties est reliée aux autres et remplit au mieux son rôle.


Ira Tviga, Untitled, from the series Soundstills 0.00001

6. Leur système de compréhension du monde est un système fragile qui se doit d’être préservé et entretenu. C‘est pourquoi ce même système permet de gérer en permanence les problèmes de pouvoir et de dogmatisme liés à tout groupe social structuré autour d’un projet collectif. De fait, leur système est en permanente évolution, et ce, afin de maintenir un équilibre subtil entre les forces internes et externes qui interagissent sur leur société où le changement, la confrontation des contraires et des subjectivités sont vécus comme des composantes essentielles de la vie. Association VDS. Voice dialogue news 48 (pdf), page 3, 2008.

Ira Tviga, Untitled, from the series Soundstills 0.00002

Toutes les cérémonies Lakota se terminent par les mots Mitakuye Oyasin qui signifient « à tous mes proches ». Ils indiquent que nous avons prié pour tous nos proches, ce qui inclut tous les êtres humains sur cette terre, et tout ce qui vit : tous les animaux, même l’insecte le plus minuscule, et toutes les plantes, y compris la fleur sauvage la plus frêle. Archie Fire Lame Deer


Oops by Chris Beckman.

Références :
Hutte à sudation
Vimeo
Ufunk
Wickedpaedia
American indian film

La Loma…

11 décembre 2010


Les grands frères Kogis

Les petits frères abîment tout, pas seulement la Sierra, non ils abîment la terre, la nature, ils ne respectent rien. Au début, beaucoup de Kogis ne vous croyaient pas.. Ils pensaient que vous étiez comme les autres, que vous veniez acheter la terre pour vous. Beaucoup de gens viennent ici pour prendre, utiliser, se servir. Ils ne protègent pas les choses, ils ne les pensent pas, ils les utilisent. Maintenant on voit que si, c’est vrai, vous travaillez vraiment pour la Sierra, pour essayer de redonner de la force à la nature. (…) Il faut que vous gardiez cela dans vos têtes et dans vos cœurs, que vous le gardiez vivant.. vraiment vivant.. pas seulement sur un papier.. ou dans des mots. Il faut allez à la Loma, penser, penser là ou sont les choses, c’est à la Loma que l’on voit les choses importantes, celles de l’intérieur. Entchivé

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Poporo Quimbaya and pestle. Phytomorphic lime container, gold, 300 BCE – 1000 CE.

Même les pierres précieuses volent en éclats
Même l’or peut se casser
Même les plumes de quetzal s’effritent
Hélas, hélas:
Nous ne sommes pas sur Terre pour toujours
Seulement pour de brefs moments. Nezahualcoyotl


John Isaacs, It is for you that I do this (hippy scalp), 2009, 50 x 50 x 180 cm, wax, oil paint, human hair, wood, glass, steel, velvet

Les paroles sont bouts de coquillage, qui se glissent sur le fil des jours ; d’elles sortira le collier pour célébrer les chants du soleil et de la mer. Nous conjuguons nos souvenirs avec le vent et les vagues. Nous construisons le temps. Nous vibrons sur les lèvres des aïeuls qui nous donnent la vie et la mémoire à travers notre chant. Poème seri, Alejandro Zeleny Aguilar, 1990.

Elinor Whidden | Mountain Man project, Georgian Bay – Chromira Print 28″ x 42″, Photo credit: Jessica Abraham, 2009.

Quand je marche vers mon village
L’eau du fleuve n’est que de l’eau, la poussière n’est que poussière,
Et le vent
Rien que du vent.
Mais quand je danse dans les cérémonies, en remuant la poussière sous mes pieds
Les rivières deviennent les veines de la terre
La poussière de mes ancêtres, chair, et le vent
L’esprit de mon peuple millénaire. (Tarahumara), Martin Makawi

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Elinor Whidden | Mountain Man project, Explore New Horizons – Ford Explorer, 30″ x 40″ Photo credit: Margaret Whidden, 2007.

Références :
Johnson le mangeur de foie
Kogis le message des derniers hommes
Amerika revues
Boulder Pavement, Enrique Servín Herrera
Amérique francaise
Los poetas
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